Solibo Magnifique
Mettant en forme le passage d’une oraliture à la littérature, Solibo Magnifique, l’un des premiers romans de Patrick Chamoiseau, narre le meurtre du raconteur paradigmatique, le personnage éponyme tué par la parole, et nous lance à la poursuite de son assassin. Bien vite une question s’impose : comment peut-on mourir « égorgé par la parole » ? En mettant la science et les institutions de l’État au défi de répondre à cette interrogation, le roman ouvre la possibilité d’une parole libre de toute restriction, d’une parole comme lieu limite de la colonisation et du pouvoir. C’est parce que la parole échappe toujours aux investigations des policiers, aux pièges du marché que l’on peut parler de la liberté de l’expression opposée à la liberté d’expression sans contenu dont parle la bourgeoisie moderne. Mais en même temps, le roman témoigne de la violence qui résulte de cette crise d’anxiété de l’Etat confronté à la résistance de la parole, en l’occurrence celle de la parole créole. Même si c’est le destin des langues créoles de la Caraïbe de finir par être institutionnalisées, pour le moment nous pouvons rêver à ces libertés inconnues et source de renouvellement dont parlait Césaire,
Et je te caresse de mes mains d’océan. Et je te vire
de mes paroles alizées. Et je te lèche de mes langues d’algues.